J’ai eu le plaisir d’interviewer Alain MBEBI, un camerounais courageux qui travaille avec acharnement pour sa famille et son pays. Le parcours d’Alain est très inspirant pour la jeunesse.
AFED : Bonjour Alain et merci d’accepter de partager ton expérience avec les jeunes sur Afed-CM.org
Alain : Bonjour Patrick, c’est un honneur pour moi
AFED : Qui est Alain MBEBI ?
Alain est né il y a un peu plus d’une trentaine d’années dans un paisible village, dans le grand sud du Cameroun. Je suis un agripreneur au cœur du concept « African Feed Africa » (AFA) et passionné de l’analyse des données. Depuis mon plus jeune âge, j’ai grandi avec l’idée que chacun devrait être capable de produire la grande partie (sinon tout) de ce qu’il mange. À l’âge de cinq ans, mes parents m’avaient déjà initié à la production de légumes sur une petite parcelle de terre non loin de la maison familiale. C’est d’ailleurs de là que m’est venue l’idée du concept AFA, car je crois fermement que les Africains peuvent et doivent se nourrir eux-mêmes.
Avec AFA, nous avons réussi à implémenter un projet agricole dont l’une des missions est de montrer aux jeunes qu’ils peuvent réussir, indépendamment de leurs origines ou situations initiales. En faisant « l’exode urbain », nous encourageons les jeunes à considérer l’agriculture comme une voie gratifiante et porteuse d’avenir et non comme le chemin à suivre lorsque rien d’autre n’a fonctionné. Il faut toujours explorer ses propres talents et être architecte de sa propre réussite !
Alain MBEBI, agripreneur, fondateur du concept AFA “African Feed Africa”Nous encourageons les jeunes à considérer l’agriculture comme une voie gratifiante et porteuse d’avenir et non comme le chemin à suivre lorsque rien d’autre n’a fonctionné.
AFED : Quel a été ton parcours scolaire ?
Mon parcours scolaire a été riche en expériences et en apprentissages. J’ai débuté ma scolarité dans mon village, où j’ai fréquenté une petite école locale. Malgré les ressources limitées, j’ai toujours été passionné par l’apprentissage et j’ai été encouragé par mes parents à poursuivre mes études. Cet encouragement venait beaucoup plus de maman car avec papa ce n’était pas un sujet à négociation mais un impératif. Avec maman c’était différent, elle disait tout le temps « Tant qu’il y a quelqu’un qui peut te payer les études vas y, il y a les gens qui veulent fréquenter mais n’ont pas ta chance ».
C’est plus tard, en creusant, que j’ai compris qu’elle parlait d’elle, car son papa avait refusé de l’envoyer à l’école sous le fallacieux prétexte qu’elle est une fille. Aujourd’hui, la société commence à comprendre et nous avons franchi un cap dans la scolarisation des jeunes filles. La fin de mes années d’école primaire est également ce que je considère être le début de mon exil circonstanciel. En effet, depuis mon entrée au collège jusqu’au moment où nous parlons, je n’ai plus eu la chance de passer plus de 20 jours d’une même année dans mon beau village.
« Tant qu’il y a quelqu’un qui peut te payer les études vas-y, il y a les gens qui veulent fréquenter mais n’ont pas ta chance »
Un conseil de la mère d’Alain.
Après les tours dans plusieurs villes, j’achève mes études secondaires avec un baccalauréat en mathématiques et science physique. Ma passion pour les mathématiques et la philosophie me conduisent en suite aux portes du département de maths de l’université de Yaoundé I où j’y passe environ 5 ans d’apprentissage infernal entre études, travail, abandon et recherche constante d’un domicile fixe. Mon désir d’acquérir plus de connaissances, ma volonté de donner un sens à ma vie, la rage d’essuyer les insultes récurrentes en lien avec ma condition sociale me conduisent dans plusieurs universités et grandes écoles à travers le monde jusqu’à l’obtention du dernier diplôme universitaire. Sur ce cheminement, j’ai eu la chance d’être enseigné et mentoré par les plus grands mathématiciens du monde. D’ailleurs, je voudrais profiter de cette occasion pour dire ma gratitude aux Professeurs Bernd J. Schroers, Marco Minozzo et Cédric Villani.
Mon parcours scolaire a été un tremplin pour ma carrière en tant que chercheur en analyse des données. Je suis reconnaissant envers mes enseignants, ma famille, toutes ces personnes inconnues qui m’ont un jour tendu la main quand tout espoir était perdu, tous mes amis de l’avenue Kennedy à Yaoundé qui ont plus d’une fois cotisé de l’argent pour que je puisse payer ma scolarité. Cette expérience a renforcé ma conviction en la puissance de l’éducation et me motive à encourager les jeunes à poursuivre leurs études et travailler sans relâche pour atteindre leurs objectifs.
AFED : Parle-nous de ton expérience professionnelle
Je construis des modèles mathématiques qui permettent de sélectionner les plantes pour un meilleur rendement, la capacité à résister aux maladies et changements climatiques entre autres.
Alain MBEBI, agripreneur, fondateur du concept AFA “African Feed Africa”
Après ma thèse doctorale, j’ai consulté pour un groupe financier de renom dans le domaine de la recherche et développement en finance spéculative. Très vite, ma passion pour la recherche, les raisons familiales et le soucis d’être proche de l’agri-business, m’éloignent à titre professionnel du milieu de la finance. Je me découvre une nouvelle passion dans la génétique quantitative des plantes – domaine dans lequel je travaille encore comme analyste de données. Pour faire simple, je construis des modèles mathématiques qui permettent de sélectionner les plantes pour un meilleur rendement, la capacité à résister aux maladies et changements climatiques entre autres.
Au fil du temps, j’ai été promu à des postes de responsabilité accrue, me permettant de mener des projets de recherche et de collaborer avec des experts du domaine. J’ai été impliqué dans des projets variés, allant de la création de modèles prédictifs pour des décisions stratégiques à l’introduction de nouvelles variétés de café sur le marché mondial. En parallèle de mon travail principal, je suis également impliqué dans des projets d’innovation et de développement de logiciels pour explorer les réseaux de régulation des gènes et leurs implications dans le traitement des cancers.
Tout ceci n’est que l’aboutissement du peu de sagesse acquise dans mes débuts comme vendeur ambulant, aide maçon ou commercial (« appacheur ») au marché Mokolo à Yaoundé
Alain MBEBI, agripreneur, fondateur du concept AFA “African Feed Africa”
Cependant, malgré mon épanouissement professionnel, j’ai toujours ressenti un appel plus fort vers l’agriculture. J’ai donc décidé de me lancer dans l’entrepreneuriat agricole en créant mon propre concept baptisé AFA. Ceci me permet de combiner ma passion pour l’agriculture avec mes compétences en analyse de données. Par exemple, nous utilisons au quotidien des approches basées sur les données pour optimiser les processus agricoles, maximiser la productivité, gérer l’exploitation agricole, sélectionner les cultures adéquates, établir des partenariats avec d’autres acteurs de l’industrie agricole et commercialiser nos produits. Je suis également très impliqué dans des initiatives communautaires visant à promouvoir l’agriculture durable et à encourager les jeunes à embrasser les opportunités dans le secteur agricole.
Mon parcours professionnel est épanouissant, car il me permet de développer des compétences techniques, relever des défis stimulants, et créer un impact positif dans la communauté. Pour finir, je tiens à dire que tout ceci n’est que l’aboutissement du peu de sagesse acquise dans mes débuts comme vendeur ambulant, aide maçon ou commercial (« appacheur ») au marché Mokolo à Yaoundé.
AFED : De quoi es-tu le plus fier professionnellement et que ferais-tu différemment?
Apporter une réponse précise à la première question serait un exercice un peu difficile. Le fait est que dans mon hygiène de vie, les choses me tombent rarement dessus, je choisis et accepte mes challenges non pas pour un intérêt personnel mais pour l’accomplissement de la gloire de Dieu. C’est ma seule motivation et tout le reste vient en bonus. Pour cette raison, tous les accomplissements (professionnels ou non) dans lesquels je suis un « outil » ont une même valeur à mes yeux. Une fois que j’ai dit ceci, l’une des choses qui m’apporte la paix au quotidien et dont je suis fier, c’est l’épanouissement des élèves que j’ai eu le privilège d’encadrer quand j’étais enseignant de mathématiques dans les lycées et collèges de la place. La relation fraternelle et « paternelle » que je continue d’entretenir avec la majorité d’entre eux et savoir que j’ai apporté une modique contribution à ce qu’ils sont devenus, me donnent sourire et motivation pour prendre de nouveaux défis.
Je choisis et accepte mes challenges non pas pour un intérêt personnel mais pour l’accomplissement de la gloire de Dieu
Alain MBEBI, agripreneur, fondateur du concept AFA “African Feed Africa”
Pour ce qui est de la seconde question, très sincèrement je ne pense pas que je ferai quelque chose différemment dans mon parcourt. Aujourd’hui quand je prends du recul et observe mon devenir, je me considère comme le fruit d’une succession d’épreuves, évènements, rencontres, échecs et mauvaises décisions. J’aime qui je suis, les personnes précieuses que j’ai dans ma vie et je ne changerai cela pour rien au monde. Bien plus, je ne pense pas que j’apprécierai la vie de la même manière si une seule pièce de mon échiquier venait à être changée.
AFED : Quel conseil peux-tu donner aujourd’hui à la jeunesse?
C’est une grande responsabilité et un honneur que de donner conseil. Je vais tout simplement reprendre ici ce que j’ai reçu des belles âmes qui ont un jour croisé mon chemin.
« Se faire de l’argent est une action, le garder est un comportement et le fructifier est un savoir»
Brian Koslow
- Quand vous voulez faire quelque chose, faites le et assumez. La peur de l’échec est un grand frein pour beaucoup de jeunes, oubliant que l’on ne peut véritablement apprécier le sucré que lorsqu’on a expérimenté l’amer. Après tout, il ne me souvient pas avoir lu quelque part que le chemin vers le sommet que chacun se fixe est un long fleuve tranquille. En toute circonstance, le plus important c’est de ne pas perdre de vue son objectif, apprendre de ses erreurs (il y en aura certainement) réajuster en tenant compte de la réalité. L’échec peut devenir une spirale sans fin si vous en avez honte et surtout si votre temps de réaction pour le surmonter devient très long.
- La probabilité de trouver un papier tout blanc dans une poubelle n’est pas zéro, ne laissez donc jamais personne vous diminuer ou vous détourner de votre essentiel, même si personne ne croit en vous, soyez ce papier écarlate pour vous même et les autres car il y a toujours une personne qui a besoin d’un exemple ou repère.
- Vu que de nos jours, presque tout tourne autour de l’épaisseur du portefeuille, je vais laisser mes cadettes et cadets avec la phrase suivante que j’ai lu quelque part et dont malheureusement je ne me rappelle plus qui en est l’auteur (pour lui donner le crédit qui va avec) : « Se faire de l’argent est une action, le garder est un comportement et le fructifier est un savoir». La maîtrise et la compréhension de ces trois principes de l’argent va vous éloigner des conséquences de la facilité, l’influence négative de ceux qui prétendent être riche et le manque de confiance en soi quand vous voulez entreprendre.
- Pour terminer, beaucoup de gens (tout comme je suis entrain de le faire) vont vous donner des conseils tout au long de votre vie, sous le prétexte qu’ils savent ce qui est bien pour vous. Les écouter c’est bien car on a toujours quelque chose à apprendre des autres, cela peut vous donner des éclairages ou des idées concernant un problème, mais à la fin c’est à vous de faire vos propres choix et de les assumer.
AFED : Avec ton expérience internationale, peux-tu dire en quelques mots ce qu’il faut au Cameroun pour un vrai développement ?
Si nous apprenons à vivre ensemble et à tous nous comporter comme des citoyens et non comme des personnes en colonie de vacance ou de passage sur notre Cameroun, alors on saura identifier nos réels problèmes et les solutions appropriées.
Alain MBEBI, agripreneur, fondateur du concept AFA “African Feed Africa”
À mon humble avis, le véritable développement si on le veut durable et utile, devrait être entrepris (penser) avant de le réaliser. Nous devons alors comprendre qu’il y a la part personnelle avant celle commune. Tout devrait commencer avec le développement personnel-spirituel où chacun prend conscience de cette nécessité, travaille sur lui même, prend des engagements et les respecte avant d’espérer l’infrastructurelle qui n’est que la partie visible du développement. Si nous apprenons à vivre ensemble et à tous nous comporter comme des citoyens et non comme des personnes en colonie de vacance ou de passage sur notre Cameroun, alors on saura identifier nos réels problèmes et les solutions appropriées.
Quand vous êtes à l’école, instruisez vous pour parvenir à faire quelque chose au lieu de rechercher des diplômes creux. Identifiez ensuite les problèmes réels de notre société puis entreprenez pour les résoudre. Ce qui constituera 50 % du capital dont vous aurez besoin pour entreprendre c’est votre temps, la passion et un projet bien pensé.
Alain MBEBI, agripreneur, fondateur du concept AFA “African Feed Africa”
Nous devons surtout comprendre que nos individualités ne sont que des outils pour accomplir notre destin commun. Nous devons intégrer que, comme toute chose précieuse, tout ceci ne s’obtiendra pas sans peine. Il suffit d’observer la nature, voir où se trouve les minerais comme le diamant et l’or qui ne sont jamais à portée de main et que nous considérons précieux pour comprendre de quoi je parle.
Enfin, à la jeunesse, je voudrais dire ceci « Quand vous êtes à l’école, instruisez vous pour parvenir à faire quelque chose au lieu de rechercher des diplômes creux. Identifiez ensuite les problèmes réels de notre société puis entreprenez pour les résoudre. Ce qui constituera 50 % du capital dont vous aurez besoin pour entreprendre c’est votre temps, la passion et un projet bien pensé. »